Monday, January 26, 2009

Manif intersexuelle


Image © ERIC J. ALDAG

Ils n'étaient que quatre à manifester hier à Genève pour dénoncer les opérations génitales imposées aux enfants dont le sexe est ambigu.

Vincent Donzé - le 26 janvier 2009, 22h37
Le Matin

Quatre pancartes tenues par deux hermaphrodites et deux militants: la place des Nations était bien trop vaste hier à Genève pour la manifestation qui dénonçait les opérations génitales imposées aux intersexuels. «C'est la peur et la honte qui les empêche de se montrer», indique Daniela Truffer, présidente de l'association des personnes intersexuées. Ils sont 3500 en Suisse à être nés comme elle avec une anomalie morphologique, sorte de petit pénis ou de grand clitoris. Chez un foetus sur 2000, l'évolution vers le genre masculin ou féminin ne se fait pas clairement pour des raisons génétique ou hormonale. «C'est un médecin qui a choisi mon sexe», dénonce Daniela Truffer.

«laissons-les décider!»
La plus engagée des hermaphrodites est venue à Genève avec un ami zurichois: «Nous nous sommes rencontrés à l'Université et lorsqu'elle s'est confiée à moi j'ai vu derrière ce tabou la plus grave violation des droits de l'homme», s'emporte Matthias. Manifester, c'est son seul pouvoir: «Aucun parlementaire ne relaie nos revendications. Le lobby des médecins est-il si puissant?» s'interroge ce militant.

Pour le corps médical, faire perdurer l'ambiguïté jusqu'à l'âge adulte n'élimine pas la souffrance: comment un enfant parvient-il à se construire si ses parents ne peuvent pas le considérer comme leur fils ou leur fille? Le choix d'un sexe tient compte des caractéristiques physiques, génétiques, hormonales et psychologiques, mais aussi de la projection parentale. Mais, pour les quatre manifestants d'hier, cette assignation précoce ne tient compte ni des émotions ni du métabolisme: «Acceptons leur différence et laissons-les décider», plaide Philippe Scandolera, coprésident de l'association homosexuelle 360°.

Daniela,
43 ans, Zurich

«Transformer un intersexuel en fille plutôt qu'en garçon, c'est plus facile pour un chirurgien: il suffit de couper ce qui est trop grand... Mais ce changement implique un déséquilibre hormonal: on est castré. C'est ce qui m'est arrivé quand j'avais 7 ans: je suis née avec des testicules et un micropénis, mais les médecins ont décidé que je serais une fille sur la base d'un mensonge: ils ont dit à mes parents que mes ovaires étaient mal formés. Parler de ma situation m'était interdit, même avec mes tantes.

A 12 ans, j'ai reçu des hormones synthétiques et à 18 ans, on m'a construit un vagin. Normalement, les sensations sexuelles sont détruites par l'opération, mais pas dans mon cas: mon gland n'a pas été coupé, mais retourné à l'intérieur, ce qui m'a permis de conserver des sensations. J'ai vécu une relation avec un homme, mais la sexualité n'était pas importante entre nous. J'ai passé ma vie dans l'isolement et dans la honte, en cachant mon corps. Qu'on me dise madame Truffer m'est égal: je ne serai jamais la personne que j'étais à la naissance. Ce sentiment a débouché sur des manifestations d'agression. Mon identité est un patchwork, mais je ne veux pas me faire opérer pour devenir un homme, avec une barbe et un pénis qui ne fonctionne pas: y introduire l'urètre, c'est très compliqué. Après huit ans de thérapie, je commence à affronter mes peurs. Ce que j'ai subi équivaut à l'abus sexuel d'un enfant: c'est une véritable torture parce que dans notre société, on doit être un homme ou une femme.»

Nicolas,
43 ans, Lausanne

«Tout baignait dans le meilleur des mondes lorsqu’un médecin a décidé de me «normaliser», à l’âge très tardif de 38 ans. J’étais marié et j’avais un enfant, mais je me savais XXY. Comme j’ai découvert cette singularité chromosomique à l’âge de 20 ans, au détour d’un contrôle médical, je me suis longuement interrogé avant de consulter un spécialiste. Pour toute réponse, ce médecin m’a prescrit «quelque chose qui vous fera bien» en me priant de ne pas lire la notice. Comme il craignait que je devienne une fille, il m’a donné de la testostérone. J’ai vécu ce traitement comme une castration chimique: mes articulations ont gonflé, mes testicules ont diminué, et je suis devenu poilu comme un ours. Ma pilosité est redevenue normale lorsque j’ai cessé de prendre de la testostérone, mais une grave maladie touche mes articulations. Et tout s’est enchaîné: la séparation d’avec ma femme, un changement de profession. Je me bats depuis trois ans et je peux compter sur le soutien de mes parents et de mes amis: ils ont compris que j’ai servi de cobaye. Mais ce qui me tient debout et m’encourage à militer, c’est la rage. Ce n’était pas à mon médecin de faire de moi un gros mâle viril: il faut changer le protocole médical pour que ça n’arrive plus à personne.

Les intersexuels vivent dans une invisibilité totale. Je préfère utiliser le terme d’intersexuel: un hermaphrodite fait fantasmer le public, car il est censé posséder les deux sexes. Mais je refuse d’être un objet à fantasmes.»

Source

Un service de l'Organisation Internationale des Intersexes

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