Friday, January 23, 2009

«Les intersexuels ne veulent pas être mis dans des catégories»

GENRE. Les associations d'hermaphrodites vont manifester à Genève contre les opérations génitales forcées. Explications sur ces
traitements.

Marie-Christine Petit-Pierre
Samedi 24 janvier 2009

Est-ce un petit pénis ou un grand clitoris? Que faut-il faire lorsqu'un enfant naît avec un sexe ambigu? Un cas de figure qui se
présente dans une naissance sur 2000 environ. Jusqu'à récemment, les médecins répondaient le plus souvent par la chirurgie et les
traitements hormonaux, il fallait décider, vite, du «vrai» sexe du nouveau-né. Aujourd'hui les hermaphrodites n'acceptent plus ce diktat. Explications avec François Ansermet, chef du service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à Genève. Alors que l'Association des personnes intersexuées se prépare à manifester à Genève sur la place des Nations les lundis 26 janvier et 2 février.

Le Temps: Des militants vont manifester contre les opérations génitales forcées pour personnes hermaphrodites. Les traitements
sont-ils toujours aussi radicaux?

François Ansermet: Jusque dans un passé récent, on intervenait le plus vite possible lorsqu'un enfant naissait avec une ambiguïté génitale. Il fallait décider de son «vrai» sexe le plus tôt possible, l'opérer, lui donner un prénom défini. Les médecins agissaient selon le paradigme dit de Johns Hopkins, du nom de l'hôpital américain où exerçait le fameux endocrinologue John Money, grand défenseur de la correction chirurgicale et hormonale de l'intersexualité. On pensait qu'il était indispensable de construire une anatomie définie pour que l'enfant puisse élaborer son identité sexuelle.

- Et aujourd'hui?

- L'idée de s'appuyer sur un sexe d'attribution a été en particulier troublée par certains cas de changement de sexe ultérieurs. Le paradigme de Johns Hopkins a alors été largement remis en question. Nous avons été amenés à nous interroger sur la différence sexuelle. A quoi tient-elle? Est-ce chromosomique, endocrinien, morphologique, cérébral ou une construction culturelle et sociale? J'ai une jeune patiente, très jolie, avec une morphologie tout à fait normale, qui a découvert à 16 ans qu'elle était XY et porteuse d'un testicule féminisant (le testicule produit de la testostérone mais les récepteurs pour cette hormone ne fonctionnent pas, ndlr). La médecine a désavoué son sexe, elle lui a dit qu'elle était un homme. Cette jeune fille a vécu un traumatisme majeur et dit s'être sentie «jetée hors du langage».

- Elle n'avait plus de mots pour se définir?

- Tout se passe comme si un corps atteint déstabilisait le langage. On ne sait plus ce qui est identique et différent, tout bouge. C'est pourquoi les personnes nées avec une ambiguïté génitale n'aiment pas que l'on utilise le terme d'hermaphrodite. Elles préfèrent celui d'intersexué. La médecine parle de pseudo-hermaphrodite ou d'ambiguïté génitale.

- Aujourd'hui on préfère laisser le choix de leur sexe aux intersexués?

- La question du choix se pose d'autant plus avec un enfant, puisqu'il n'est pas en mesure d'y participer. Ce sont d'abord les médecins qui interviennent dans le choix de son sexe. Aujourd'hui certains intersexués revendiquent la liberté de ce choix. Chaque sujet est de toute façon unique. Son identité ne peut pas être ramenée à la seule identité de genre. Il y a plus de différences entre deux sujets qu'il n'y en a entre l'ensemble des masculins et l'ensemble des féminins.

- Devrait-il y avoir un troisième sexe?

- Anne Fausto-Sterling, professeure de biologie et d'études genre aux Etats-Unis, propose d'admettre l'existence de stades intersexuels. Les pseudo-hermaphrodites posent la question: le sexe est-il deux ou multiple? Pour eux, il n'est pas normal d'être obligé de se ranger dans la catégorie femme ou homme. Ils estiment avoir le droit d'être intersexuels.

- La chirurgie met-elle en cause la sexualité des intersexuels?

- Ne pas se faire opérer est également un choix de jouissance. Ceux qui luttent contre une opération trop précoce dénoncent en effet les conséquences des mutilations provoquées par la chirurgie qui les privent des sensations des organes touchés et peuvent les laisser insensibles.

- Comment envisagez-vous l'avenir?

- Aujourd'hui, en tenant compte des changements dans les règles de soins aux intersexués, je pense que nous devrions travailler en
collaboration. En associant chirurgiens, psychiatres, associations de patients et recherches en études genre pour construire une prise en charge adéquate des patients.

Source

Un service de l'Organisation Internationale des Intersexes

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