Monday, May 18, 2009

Les Intersexes sont invisibles


L'ambiguïté génitale, c'est le fait de naître avec des organes génitaux qui ne permettent pas de déterminer le sexe de l'enfant. Elle concerne environ 130 naissances par en an en France, soit 0,016%. C'est peu. Est-ce que pour autant cela justifie que l'on s'en désintéresse ?

Pas d'études, pas de débat public, tout est fait dans l'opacité d'un hôpital et sous la seule autorité des médecins, maîtres absolus.

Et pourtant que je crois que cela nous concerne tous. C'est un cliché de dire que nous avons tous en nous une part de masculin et une part de féminin. Et pourtant, lorsque nous y sommes véritablement confrontés, nous fermons les yeux et nous parlons de monstres et d'erreurs de la nature.

L'Etat lui-même, qui veut tout régenter et réglementer (risque zéro, interdiction de fumer dans les lieux publics, détection de la dangerosité dès le plus jeune âge) a décidé de ne pas s'emparer de la question des intersexes. Tabou total.

Le livre de Julien Picquart m'a ouvert les yeux. « Ni homme ni femme, enquête sur l'intersexuation » est le premier ouvrage publié sur le sujet en France et à destination d'un grand public. Il est composé en deux parties : une première sur les témoignages d'intersexués, de leurs parents, des médecins, et une deuxième sur les pistes de réflexion que cela devrait engager.

Les témoignages de la première partie peuvent être déroutants, moi je les ai surtout trouvés émouvants, voire tristes. Je me suis sentie triste après leur lecture. A part quelques exceptions, tous ont vécu cette ambiguïté dans la douleur et la souffrance, la discrimination et la violence. Je vous invite à les lire, notre regard change au fil de la lecture.

Julien Picquart est un utopiste et le revendique. Il élargit sa réflexion jusqu'à remettre complètement le fondement de nos sociétés en question : le masculin et le féminin. Qu'est-ce qu'un homme, qu'est-ce qu'une femme ? Il ne veut pas entendre parler de premier, second ou troisième sexe, qui impliquent selon lui une hiérarchisation.

Il rappelle que pour lutter contre le racisme, nous avons supprimé de nos états civils la notion de race. Il propose alors de supprimer la mention du sexe pour lutter contre le sexisme. Vaste programme. L'objectif de l'auteur, c'est de montrer que la logique opérée vis-à-vis des intersexes actuellement (ne pas laisser un nourrisson avec ses organes génitaux ambigus mais opérer et imposer aux parents de faire un choix) en dévoile plus sur notre vision des choses. Il y a le masculin et il y a le féminin. Les tâches, les rôles, les marqueurs sont précis. Pas moyen de déroger à la règle. Et dans le fond, cette peur face à un bébé intersexe, c'est celle de l'homosexualité, ou d'une forme de sexualité dite « pervertie ».

Même si l'intersexuation ne concerne peu de personnes, elle révèle nos tabous, nos secrets, nos angoisses face à un monde dont les codes pourraient tout à fait évoluer, ils ne sont que conventions sociales 

Faut-il avoir peur de ce changement ?

A lire, la position officielle de l'Organisation Internationale des Intersexes

Source: Cliquez ici

Saturday, May 9, 2009

Kent Monkman: mi-homme, mi-femme

 

Jocelyne Lepage
La Presse

La Danse au Berdache est d'abord un tableau peint par George Catlin (1796-1872) pour illustrer un rituel «dégoûtant» de certaines tribus autochtones autour d'un des leurs, travesti en femme. C'est maintenant une oeuvre envoûtante projetée sur cinq écrans en forme de peaux de bison. Quatre hommes dansent autour d'un homme-femme jusqu'à tomber en transe. Impressionnant!

Kent Monkman, 44 ans, est un artiste torontois d'origine métisse qui remet en question l'histoire officielle des Amérindiens telle que racontée et illustrée par les Blancs. Il s'intéresse à ce qui se cache derrière le mythe du bon sauvage, et ce peut être parfois un homosexuel. L'homme-femme, aussi appelé Berdache, est important dans la mythologie amérindienne et l'était aussi, autrefois, dans l'organisation de la vie sociale de certaines tribus.

 

Monkman s'exprime par différents médias - peinture, photo, vidéo, performance. Le nom de son alter ego fictif en dit beaucoup sur le genre d'humour qu'il pratique: Miss Chief Eagle Testickle. C'est lui, ou elle, l'homme-femme, le Berdache, qui occupe l'écran du centre, vêtu de voiles rouges, dansant une sorte de danse du ventre très féminine. Les quatre autres écrans sont occupés par quatre hommes différents exécutant des danses viriles, un mélange de danse traditionnelle et de danse contemporaine. La chorégraphie est signée Michael Greyeyes, chorégraphe et danseur cri.

Dans cette oeuvre qui devient vite très prenante, le spectateur se déplace parmi les écrans en essayant de tout voir en même temps - chaque écran propose quelque chose d'à la fois semblable et différent. Les mouvements de danse se ressemblent, mais les détails des coiffures, des costumes, des accessoires et des décors changent sans cesse, comme si l'artiste avait fait l'inventaire de ce que l'on trouve dans l'imagerie concernant les autochtones. Certains effets techniques saisissent: à un moment donné, par exemple, chaque danseur se démultiplie, devient transparent. Les visages en gros plan font des grimaces qui ressemblent à des masques indiens. Les corps des danseurs en transe lancent des éclairs.

La musique, du compositeur torontois Phil Strong, joue ici un rôle essentiel et très efficace. Elle est, elle aussi, un mélange de moderne à la Stravinsky - interprétation déformée du Sacre du printemps - et de chants et cris traditionnels associés à la culture amérindienne.

Dans cette oeuvre de Kent Monkman, qui dure une quinzaine de minutes, tout est beau, esthétiquement. Avec une petite touche kitsch... au second degré. Il est facile de voir et d'entendre plusieurs fois la Danse au Berdache, c'est même nécessaire pour tout saisir. On peut aussi aller voir une autre des oeuvres de Monkman, une grande peinture celle-là, exposée parmi la collection d'art contemporain du Musée. Il s'agit de Trappeurs d'hommes, une parodie d'un tableau d'Albert Bierstadt (Among the Sierra Nevada. California, 1868), un peintre porté sur l'idéalisation romantique de l'Indien en Amérique.

On aurait aimé que le Musée nous fasse voir une reproduction de la Danse au Berdache de Catlin, une danse qui, pour lui, cité sur une affiche à l'extérieur de la salle, «est l'une des coutumes les plus dégoûtantes et les plus inexplicables qu'il (lui) ait été donné de voir au pays des Indiens». Une danse transformée par Monkman en un spectacle multimédia d'une grande beauté.

Kent Monkman, Danse au Berdache, jusqu'au 4 octobre. Pavillon Jean-Noël Desmarais, Niveau S2. Entrée libre.

Source: Cliquez ici