Saturday, January 31, 2009

Hermaphrodisme, faut-il se soumettre au bistouri?

| 12:09 Nés entre les deux sexes, ils veulent pouvoir décider par eux-mêmes de leur identité.



Adélita Genoud et Cécile Denayrouse | 30-01-2009 | 12:09

Ils n’étaient que deux, lundi dernier, à manifester devant le Palais des Nations pour que les intersexués cessent d’être victimes de violations contre les droits de l’homme. Deux, c’est bien peu en regard des quelque 12 500 hermaphrodites répertoriés en Suisse. Ces représentants des personnes intersexuées repartent cependant à la charge. Ils se tiendront de nouveau devant le Palais des Nations ce lundi pour une protestation silencieuse. Pourquoi ont-ils choisi de descendre dans la rue? Que revendiquent-ils? Explication médicale et témoignages.

L'hermaphrodisme (présence de caractéristiques des deux sexes chez un individu) ne concerne pas seulement quelques cas isolés. D’origine principalement génétique ou hormonale, cette morphologie ambigue vise quelques centaines de personnes à Genève.

La confusion identitaire sexuelle, décelée dès les premières heures de la vie, est en principe résolue par la génétique.
En clair, la médecine procède à la reconstruction de l’appareil génital féminin ou masculin selon le résultat chromosomique (XX ou XY). Mais, si cette voie empruntée par la science obéit à une certaine logique, elle n’est pas sans conséquence chez les intersexués.

«Certains individus, opérés à la naissance, ont des parcours de vie très difficiles. Au moment de la puberté, ils demandent parfois une réassignation chirurgicale de leur sexe. D’autres développent des troubles dépressifs», affirme Ariane Giacobino, médecin généticien aux Hôpitaux universitaires de Genève.

La Zurichoise Daniela Truffer, porte-parole et présidente de l’Association des personnes intersexuées en Allemagne, le confirme: «Environ un tiers des hermaphrodites se suicident. »

Née elle-même avec une ambiguïté sexuelle, elle a été castrée dès son plus jeune âge. «D’ordinaire, la génétique n’entre même pas en ligne de compte, et les médecins privilégient le sexe féminin par facilité, raconte-t-elle. Ils ont donc décidé de faire de moi une fille, malgré mes chromosomes XY.

A aucun moment, mes parents n’ont eu voix au chapitre. Ils ignoraient complètement ce que l’on me faisait. Face à leurs questions, les médecins restaient vagues. »

Fillette, elle subit une nouvelle opération chirurgicale irréversible pour «couper ce qui dépasse», avant de prendre des hormones dès l’âge de 12 ans. Un traitement aux conséquences lourdes. Daniela finit par demander à ce qu’on lui reconstruise un vagin à 18 ans: «C’est la seule opération que j’ai moi-même exigée. » Elle s’estime privilégiée: «J’ai encore des sensations sexuelles, ce qui n’est pas le cas de la plupart des intersexués. Certains ont des saignements permanents, des douleurs atroces et des cicatrices…»

Alors? L'hermaphrodisme pose une succession d’interrogations. «Il faudrait que nous réfléchissions à un meilleur encadrement des familles et des enfants. Mieux expliciter les conséquences de chaque choix», assure la généticienne. Et sans doute intervenir médicalement plus tardivement au lieu d’agir dans l’urgence. «Le fait que deux sexes différents cohabitent n’a pas d’incidences délétères sur la santé», reprend-elle.

Daniela aussi en est persuadée: «Même si l’enfant subit les moqueries de ses camarades ou les regards en coin des voisins, ce n’est rien comparé à la souffrance morale et physique qu’impliquent ces opérations contraintes. »
Mais, ce changement de pratique suppose une évolution de la société. Si l’identité sexuelle n’est pas «décidée» par la chirurgie à la naissance, de quel côté va se situer l’enfant? Fille? Garçon? Daniela se demande encore aujourd’hui quelle aurait pu être sa vie si ce choix ne lui avait pas été volé. «A l’extérieur je suis une fille, mais l’âme, elle, ne s’opère pas. Je suis comme apatride dans mon propre corps. »

Dans une société qui ne reconnaît que le masculin et le féminin, les intersexués sont inexistants au niveau juridique, politique et social. Quelques hermaphrodites commencent à sortir de l’ombre. En Allemagne, une personne intersexuée, qui avait assigné son médecin en justice, a eu gain de cause. D’autres procès retentissants se préparent.

«La menace judiciaire amènera peut-être la médecine à reconsidérer sa pratique», espère Daniela.
Au-delà, faudra-t-il enfin reconnaître l’existence d’un troisième sexe pour éviter des années de souffrance et de traitements médicaux forcés?
Pour plus d’nformations: www.intersexualite.org et www.intersex.ch

«Les médecins m’ont menti»

Nicolas est né avec les gènes XXY. Heureux père de famille, il est allé consulter un médecin sur le tard, à 38 ans, pour avoir des réponses à ses questions sur sa particularité génétique. «Le médecin m’a examiné, et m’a finalement prescrit un traitement à base de stéroïdes, sans trop me dire réellement pour quelles raisons, sinon que ça me ferait du bien. » Syndrome de la blouse blanche oblige, Nicolas fait confiance au spécialiste, sans trop se poser de questions, et entame son traitement.

Rapidement, il ne reconnaît plus son corps, qui se virilise, devient plus carré. Des crises de douleurs insupportables apparaissent, il devient irritable. Son entourage est perplexe: Nicolas est méconnaissable. Inquiet, il retourne chez son médecin. «Il m’a alors expliqué qu’il avait voulu me normaliser et a ajouté: «Vous ne vouliez pas ressembler à une fille. » Sauf que je n’avais rien demandé!» A cause du traitement hormonal imposé, Nicolas souffre aujourd’hui d’une grave maladie qui détruit ses articulations.

Certains hermaphrodites sont entrés dans la légende.

Le chevalier d’Éon (1728-1810), espion et diplomate de Louis XV, célèbre pour son habileté à se faire passer pour une femme. Son attitude équivoque et non-conformiste alimenta les rumeurs les plus folles: fou? Hermaphrodite? Femme? A sa mort, il fut autopsié par un concile de médecins, et déclaré de sexe masculin et parfaitement constitué. Au cours de sa vie pourtant, des proches affirmèrent qu’il était bien une femme.

Herculine Barbin (1838-1868) était un hermaphrodite français qui a été considéré comme une femme à la naissance, mais a plus tard été réassigné comme un homme après une liaison amoureuse et un examen physique. Elle est connue pour avoir écrit une émouvante autobiographie qui présente la difficulté d’être intersexué.

Erika Schinegger, championne du monde de ski alpin en 1966, fut détectée comme étant de sexe masculin lors d’un test urinaire. Elle décida alors de se faire opérer et de changer son prénom d’Erika en Erik. «Je croyais être une fille, je pensais que j’étais lesbienne, a-t-il confié. J’ai eu beaucoup de chance. Sans cette victoire, j’aurais vécu encore longtemps dans la peau d’une fille. Après l’opération, je n’étais plus personne, mais j’avais pris ma vie en main. » Marié, il est père d’une petite fille. CD

Source

Un service de l'Organisation Internationale des Intersexes

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