Sunday, November 30, 2008

Pour en finir avec la théorie d'un Adolf Hitler à une seule couille

Par Ron Rosenbaum | Critique, Slate.com | 30/11/2008 | 13H39

Faites que ça s’arrête, cette fixation sur la sexualité d’Hitler, sur sa perversité. C’était un homosexuel "prédateur", "il se livrait à des relations perverses avec sa nièce mineure". Et le pompon, un mythe que je pensais avoir réfuté une bonne fois pour toutes mais qui ressurgit à nouveau: Hitler n’avait qu’un testicule.

Derrière tout ça, le besoin de prouver qu’Hitler n’était pas "normal", c’est-à-dire pas comme nous, la nature humaine se trouvant ainsi disculpée d’avoir produit un Hitler. C’est rassurant: il n’y pas le potentiel d’un Hitler dans le potentiel humain.

J’ai essayé d’attirer l’attention sur l’absence d’arguments historiques sur lesquels s’appuient nos efforts pour associer Hitler (et les nazis en général) à la sexualité hors-norme. Il y a quelques années dans une chronique de Slate, j’ai abordé la rumeur "Hitler-était-homosexuel", idée qui associe implicitement le comportement homosexuel à la pathologie criminelle d’Hitler.

Des légendes urbaines

Et j’ai consacré un chapitre de mon livre "Explaining Hitler" à essayer de discréditer les rumeurs de perversion, l’histoire de Geli Raubal, cet effort de transfuges nazis et de freudiens pour prouver que si Hitler était vraiment diabolique, c’était à cause de sa relation sexuelle perverse avec sa demi-nièce, Geli, qui s’est suicidée avant qu’il devienne Führer (comme si sans cela, il aurait été un type bien).

Mes efforts pour discréditer ces légendes n’ont pas empêché des soi-disant grands romanciers littéraires comme Norman Mailer ou Ron Hansen de les prendre au sérieux.

Et voilà maintenant le retour du testicule manquant. Une des légendes urbaines les plus répandues sur Hitler voudrait qu'il ait été monorchide et que ce testicule manquant n’ait pas simplement été une petite déformation, mais la clé de la psychologie d’Hitler.

Il y a même une école de "psycho-historiens" freudiens qui considèrent que le scrotum soi-disant à demi vide d’Hitler est à la racine de son tempérament meurtrier, de sa sexualité et de son antisémitisme.

"Génitalement normal"

C’est une théorie à laquelle je croyais avoir mis un terme. En 1995, j’ai publié un extrait de mon livre dans le New Yorker dans lequel j’ai fait référence à la persistance de la légende de l’unique testicule, incluant une information douteuse sortie dans les journaux -je n’invente rien- selon laquelle Hitler avait perdu un des testicules en essayant, enfant, d’uriner dans la bouche d’une chèvre.

Peu de temps après la publication de cet article, j’ai reçu une lettre de Gertrude Kurth, une psychanalyste qui pendant la guerre avait participé à une opération soutenue par l’OSS pour essayer d’évaluer "l’esprit d’Adolf Hitler".

Avec l’auteur de l’étude Walter C. Langer, elle avait retrouvé le médecin de famille d’Hitler, le docteur Eduard Bloch, alors un réfugié juif qui vivait dans le Bronx à New York et qui lui avait affirmé sans équivoque qu’il avait examiné Hitler pendant son enfance et l’avait trouvé "génitalement normal".

La theorie monocouille ressort le 19 novembre dernier

Fin de l’histoire? Malheureusement non. Voilà que le 19 novembre dernier, Alex Peake, journaliste au tabloïd anglais The Sun prétend qu’un nouveau document a refait surface, le soi-disant testament d’un prêtre qui a recueilli la confession d’un Johan Jambor.

Jambor, nous dit-il, était un médecin allemand qui a participé à la bataille de la Somme en 1916 aux côtés d’Hitler. D’après Peake, Jambor "est mort en 1985 à l’âge de 94 ans, mais avait raconté son secret au prêtre Franciszek Pawlar, qui avait gardé des notes de leur conversation." Voilà ce qu’écrit Peake:

"Blassius Hanczuch, l’ami de Johan a confirmé le récit du prêtre sur la façon dont le médecin avait sauvé la vie d’Hitler. Il a dit: “En 1916, ils ont vécu leur plus dur combat pendant la bataille de la Somme. Pendant plusieurs heures, Johan et ses amis ont ramassé des soldats blessés. Il se souvient d’Hitler. (…) Son abdomen et ses jambes étaient en sang. Hitler était blessé au ventre et avait perdu un testicule. (…) Blassius a dit que quand les Nazis prirent le pouvoir, Johan commença à faire des cauchemars et à se reprocher d’avoir sauvé Hitler."

Etonnament -alors que Peake n’a jamais montré le document du prêtre ou donné des preuves de l’existence du soi-disant témoin Hanczuch- des médias sérieux ont repris l’information des deux côtés de l’Atlantique (Rue89 l'avait signalé en vigie, ndlr).

Des affirmations invérifiables

Il est vrai qu’Hitler a été blessé pendant la bataille de la Somme. Son plus fiable biographe récent, Ian Kershaw dit qu’il a été blessé "à la cuisse gauche", pas à l’abdomen comme le prétend le médecin peut-être mythique du Sun.

Mais c’est la seule noisette -façon de parler- du récit de Peake qui puisse être documentée. Je lui ai écrit deux fois pour lui demander où l’on pouvait trouver le document du prêtre et pourquoi il ne pouvait pas être photocopié. Je lui ai aussi demandé si l’ami Hanczuch qui corroborait l’histoire pouvait être contacté et interviewé. Pas de réponse.

Tout ce qui sort sur Hitler est bourré de bidonnages et de légendes urbaines. J’ai donc appelé M. Peake et The Sun pour leur prouver qu'ils en avaient là un de plus.

Pourquoi a-t-on envie de le croire?

Mais je me demande encore ce qui est à l’origine de cette avidité. Pourquoi autant de gens sont-ils prêts à croire, comme le titre du Sun le disait qu’"Hitler n’avait qu’une couille"?

Et même si c’était vrai, qu’est-ce que ça prouverait? Les théories freudiennes sur le monorchisme s’appuient généralement sur l’idée que c’était quelque chose qu’il avait depuis la naissance ou s’était développé pendant la puberté, comme c’est le cas pour beaucoup d’hommes, en général avec très peu de conséquences. Inutile de préciser qu’on viverait dans un monde extrêmement dangereux si tous les jeunes monorchides devenaient des Hitler.

Même si le document du Sun n’est pas bidon, cela complique ces théories, parce que cela montre qu’Hitler a perdu un testicule à l’âge adulte et avait donc développé l’essentiel de sa personnalité à une époque où il était doublement burné.

Bien sûr, la blessure au combat semble suffisamment douloureuse, traumatisante même, mais vraiment de quoi faire un Hitler d’Hitler? De quoi être un facteur de sa personnalité ou de la formation de son idéologie. En fait, dans sa biographie, Ian Kershaw est très clair sur le fait qu’Hitler "a commencé à détester les juifs pendant qu’il était à Vienne", donc des années avant la guerre.

Une théorie déculpabilisante

L'envie de croire l'histoire du Sun, on s'en fait une idée aux soi-disant mots du médecin qui se met à faire des cauchemars et à s’en vouloir d’avoir sauvé Hitler.

Voilà à quoi tient l’attrait de cette histoire ou de cette fable comme vous voulez l’appeler: ce ne sont pas les démocraties occidentales qui n’ont pas réussi à sauver le monde d’Hitler avec leur politique d'apaisement; c’est Johan Jambor qui aurait pu le faire. Hitler, ce n’est pas la faute du peuple allemand, c’est la faute de cet allemand Johan Jambor et d’une couille qui manque.

C’est aussi le problème que me posent des films comme La Chute. Le film prétend offrir "l’histoire vécue de l’intérieur" des derniers jours d’Hitler dans son bunker allemand et défend implicitement l’idée que l’Holocauste ne s’est pas produit à cause du peuple allemand –non, ils sont aussi victimes!- mais d’un homme, Hitler, et du petit groupe de fous diaboliques qui l’entouraient. Rien sur la façon dont l’Allemagne a accueilli l’antisémitisme exterminationiste.

Tout ce que cette obsession nous apprend, c’est la façon dont notre culture refuse de faire face à la profondeur et à la complexité du mal -et à quelques exceptions honorables près- préfère échapper aux questions sur qui porte la responsabilité d’Hitler et de l’Holocauste en en faisant porter la faute à des mythologies sexuelles de pacotille et à la notion freudienne que tous les comportements ont une explication sexuelle.

D’une certaine manière, l’attention portée à la supposée anormalité sexuelle d’Hitler devient le testicule qui manque à l’Allemagne: la déculpabilisation monorchide à des meurtres de masse. Ne l’encourageons pas.

Ron Rosenbaum est l’auteur de "The Shakespeare Wars and Explaining Hitler".
Ce texte a été raccourci. Vous en trouverez l’original en anglais ici.

Source

Un service de l'Organisation Internationale des Intersexes

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